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Ancrer l’éphémère, le fragile, l’instable, c’est une lecture possible d’un ensemble de dessins que la plasticienne Mona Laure Millet a réuni sous ces termes, sous ce pavillon pour filer la métaphore marine : « La mer a tout recouvert ».
Volutes, halo, sphère et formes aux rythmes sinusoïdaux qu’elle applique, dépose à l’encre sur des plans d’architecture navale.
Ceux-ci ne sont pas vraiment recouverts par ceux-là, les motifs paraissent flottants, en lévitation.
Ils sont faits de traits délicats, minutieux par application de fines hachures ouvragées comme une pièce de dentelle, se déployant sous forme d’écheveaux et d’entrelacs, le rendu est par moment diaphane.
Si le trait est aussi, comme celui de l’architecte, minutieux, appliqué et précis, c’est ici au service d’un tout autre résultat dont l’ordonnateur est le hasard.
Serait-ce la représentation d’une forme de vanité, une vanité aux accents marins :
L’intervention à l’encre provoquant le plan d’architecture navale, personnification de ce qui est fait pour durer et s’inscrire dans le temps en le rappelant à l’éphémère au fugace et la fragilité.
Manière aussi de réintroduire cet élément absent, cet océan liquide qu’est la mer et rappeler ainsi l’homme comme ses entreprises à leur humble condition/position.
LIQUÉFACTION, LE VIDE VERS LE PLEIN.
Liquide, liquéfaction, dilution sont des notions au cœur du processus créatif de Mona Laure Millet, indispensables pour en saisir l’esprit. De ce point de vue là, l’artiste prend à rebours le sens de l’art et son histoire, qui a toujours cherché les moyens d’obtenir un liant qui permet de fixer le sujet et d’en assurer sa pérennité. Elle nourrit au contraire ce processus de fragilité, utilisant par exemple du savon, des calques ou films transparents. Ceci, faut-il le préciser, au service d’œuvres dont la vocation n’est pas d’être éphémère. Le paradoxe étant que ce sont ces encres qui insufflent la vie au sujet, dynamisent la composition en atténuant sa raideur initiale par l’introduction d’un dialogue entre deux plans.
Ce trait léger, flottant et précis, Mona Laure Millet le déroule au- delà des frontières du cadre, l’encre se mue alors en fil de cuivre pour laisser une empreinte dans l’espace, faisant de l’air son support.
L’art de la dentellière est toujours à l’oeuvre, c’est par le tressage très délicat et minutieux du fil de cuivre qu’elle donne vie à ces formes, qu’on ose à peine qualifier de volume tant elles se nourrissent d’air et de vide.
Elles se présentent sous forme de suspensions ou posées au sol.
Généralement sans titre, elles sont regroupées par famille dénommées » Suspendere » pour les premières, « Algorithme » pour les pièces posées. Ces vocables en suggèrent l’esprit plutôt que d’en fixer le sens.
C’est là un autre paradoxe pour l’artiste diplômée des Beaux-Arts de Rouen et formée à la taille de pierre, qui commença par la sculpture. Celle où l’on procède par soustraction, en dégrossissant d’abord et non par ajout pour créer la forme.
Lionel Aymeric Simon, galeriste.
Dans ses sculptures mais aussi dans ses dessins, le geste précis et méticuleux se répete, venant contredire le concept au bénéfice d’un lent « process ».
Le souffle est patient, semble s’étirer pour donner naissance à une géodesie invasive, une « inter-matière » mutante en résonance avec un monde en constante expansion.
Les suspensions d’acier offrent une idée apaisée du vide, un havre transitoire, où le fil circule comme une tentative de stabilisation.
Si l’expression privilégiée est la sculpture, on retrouve dans les dessins la même apparente fragilité :
En méandres organiques, cet éloge à la lenteur vient recouvrir d’anciens plans d’architectures navales et nous révèle un monde flottant, sensible où des fragments du vivant s’étiolent, se recomposent et nous renvoie à notre impermanence..
Peu après avoir découvert l’oeuvre de Mona L Millet , je crois lui avoir confié dans un commentaire à la spontanéité enfantine, combien une série -que j’avais tenu sous mes yeux à distance sur mon écran- me saisissait, émotion abyssale.
Une série de dessins, myriades de traits dont l’apposition, minutieuse, créée des effets d’estompage, de volume bien plus que de relief, car le dessin suggérait « traverser » le plan défini par son support, jeu optique magnifié par la qualité même du substrat : des plans d’architecture navale.
Je crois avoir ressenti la même émotion qu’autrefois devant les sculptures monumentales de Richard Texier, ses instruments de navigation marine, et, sans tirer aucune analogie entre les techniques respectives des auteurs, dit le « ravissement des confins poétiques» quand l’emploi du symbole (instruments de navigation chez Texier) ou de l’objet (le plan, sens propre et figuré, qui établit l’objet navigant, et son univers de mots, nef, étambot, presse -étoupe) est agi par la singularité affirmée de l’imaginaire, de la délicatesse et la minutie du trait de Mona .
Minutie plutôt que rigueur, car je lis dans la rigueur une notion d’intention bien trop étriquée pour contenir l’effet de sublimation que fait surgir Mona en cheminant vers l’achèvement d’une oeuvre, vers ses éthers ou abysses emplies de lumière.
Pour reprendre un vieux terme de marine, son travail « désempare », comme on désarme, comme on abat les certitudes pour élever -porter ailleurs- le spectateur de l’oeuvre.
A ce point, évoquant le cheminement de l’artiste « vers l’achèvement d’une oeuvre », quelques mots sur la matière, et le corps. J’ai vu apparaître ses mains à l’ouvrage : tendons saillants assemblant/nouant/liant des fils d’acier recuit, comme agissant, au long d’heures indénombrables, depuis l’intérieur de la sculpture.
Puis ailleurs, des dessins, fruits de la même longue et fabuleuse minutie, approchant avec la même liberté, la presque-figuration de l’infini microscopique, de l’intime organique, celui des cellules, du mystère insondable du vivant.
D’un infini à l’autre, dire la beauté du trouble.